600 matchs en tant que coach de l’AS Nancy Lorraine : c’est le chiffre qu’a atteint vendredi soir Pablo Correa, face au Mans. Un record de longévité et une histoire d’amour qui a commencé, pour Pablo, en tant que joueur en 1995, et qui ne cesse de croître depuis 30 ans. Nous avons retrouvé l’emblématique coach dans la cité ducale pour un entretien en deux parties : d’abord en vidéo au musée des Beaux-Arts de Nancy, à travers laquelle Pablo Correa nous confie ses souvenirs en tant qu'entraîneur de l'ASNL. Pour la deuxième partie de cet entretien, il revient plus en profondeur sur ses débuts et ses souvenirs marquants.
Pablo, 600 matchs sur le banc de l’ASNL, c’est un chiffre impressionnant. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
La fierté. J’ai deux vies : une en Uruguay et une en France. Mais aujourd’hui, finalement, j’ai vécu plus de temps en France qu’en Uruguay. Je suis fier de ça. Je n’aurais jamais pensé atteindre ce chiffre, surtout dans un métier auquel je ne m’étais pas préparé, parce qu’à la base, je suis footballeur, et tous les footballeurs ne deviennent pas entraîneurs. La fierté vient de ça aussi.
Pablo Correa en tant que coach de l'ASNL, c'est :
600 matchs (266 en Ligue 1, 208 en Ligue 2, 46 en National, 34 en Coupe de France, 32 en Coupe de la Ligue, 14 en Coupe de l'UEFA) ; 243 victoires ; 162 nuls ; 195 défaites ; 752 buts marqués ; 655 buts encaissés ; 217 clean sheets.
Justement, tu es arrivé ici en tant que joueur il y a 30 ans, en 1995. Est-ce qu'au-delà de ces 600 matchs, en arrivant, tu aurais pu imaginer une telle histoire d'amour aussi longue en plus, 30 ans après ?
Pas du tout. Mon premier contrat avait une date d’expiration : le 30 juin 1998. C’était la Coupe du Monde en France. Mon plan était simple : je viens, je passe trois ans, je profite de la Coupe du Monde et je rentre en Uruguay. Je ne te raconte pas la suite, parce que tout le monde la connaît. Parfois tu fais des plans, et la vie en choisit d’autres pour toi.
Si, au tout début de ta carrière d'entraîneur, le 17 novembre, le soir de ton tout premier match en 2002, on t'avait dit que tu atteindrais les 600 matchs avec Nancy, qu'est-ce que tu aurais répondu ?
Je n’y aurais pas cru. Ce n’est pas l’amour que vous portez pour un club qui détermine le temps que vous y passez. Parce qu’il y a quelque chose de très important, et c’est le résultat. Vous pouvez être amoureux, dévoué pour le club, si vous n’avez pas de résultat, vous sautez. C’est comme ça dans ce métier. Mon poste, c’est le premier fusible. Il est déterminé par le résultat. Donc non, je n’y aurais pas cru, pas parce que je ne croyais pas en moi, mais parce que c’est très difficile dans le football de perdurer longtemps, et dans le même club, ça l’est encore plus. C’est très rare.
Pablo Correa est le seul entraîneur ayant effectué 3 passages en tant que coach de l'ASNL.
Dans la vidéo, tu parles de ton premier souvenir. C’était très froid car on était en novembre… Comment te souviens-tu de ton premier match sur le banc d’entraîneur ?
Le premier match, c’était contre Saint-Etienne. On avait gagné 1-0. Je n’avais pas d’appréhension particulière, j’étais dans l’inconscience de la jeunesse. Dans la nécessité des résultats, bien sûr, car on était 20e de Ligue 2, mais très insouciant quand même. Je n’avais même pas de diplôme à l’époque. Je me souviens que je faisais semblant de tout maîtriser. Mais quand tu commences, tu ne maîtrises rien du tout. Tu es dans la méconnaissance, dans le manque d’expérience. Mais il faut bien commencer.
Je me souviens qu’à l’époque, il y a eu un élément qui est peut être passé inaperçu aux yeux du public, mais c’est une décision qui, plus tard, nous a permis de taper dans le mille. On a décidé de donner le brassard de capitaine de Laurent Dufresne au moment où je reprends l’équipe. Je pensais que Laurent était un joueur qui avait montré qu’il était capable de marquer énormément. Je décide de lui donner le brassard parce qu’il avait, mentalement, la force de donner un petit plus. Et pour ce premier match, il a marqué. Par la suite, il a marqué des buts dont ses partenaires avaient besoin et que j’attendais.
Laurent, ça a été le deuxième meilleur buteur quand tu étais entraîneur. Il a marqué 43 buts !
Oui, c’était déjà un buteur intéressant en Ligue 2. C’est pour ça que Monsieur Rousselot l’avait fait venir. Lorsque je suis arrivé, il était touché mentalement parce qu’il avait un passé problématique avec l’entraîneur qui était là avant [NDLR : Moussa Bezaz]. C’est comme ça, le football.
Top 10 des meilleurs buteurs de l'ASNL sous Pablo Correa :
- Youssouf Hadji : 71 buts
- Laurent Dufresne : 43 buts
- Gaston Curbelo : 26 buts
- Moncef Zerka : 26 buts
- Issiar Dia : 25 buts
- Junior Dalé : 24 buts
- Eli Kroupi : 23 buts
- Cheikh Touré : 21 buts
- Julien Féret : 21 buts
- Pascal Berenguer : 20 buts
Au final, ça a été bénéfique pour tout le monde. Ça ta donné confiance en toi, tout comme les joueurs ont repris confiance en eux.
Tout à fait. Laurent, j’ai senti qu’il fallait le ramener au bon niveau mental. Ce n’est pas par hasard si on gagne grâce à son but. Je pense que les choses ont un ordre, même si l’histoire n’est pas écrite. A ce moment-là, je me suis dit, en tant que manager, j’ai pris la bonne décision.
Est-ce que parmi les 600 matchs, il y en a un qui t’as particulièrement marqué ?
Lors de notre première Coupe d’Europe, on est parti jouer à Bâle. Dans ce match, on était à 1 but partout. Sur la fin, Issiar Dia se fait faucher par le gardien adverse. L’arbitre siffle pénalty. Le gardien est expulsé, un joueur de champ prend sa place. Et Issiar, je vois qu’il se relève difficilement, mais il veut prendre le ballon pour tirer. Moi je pars comme un fou, je crie au milieu du terrain. Je dis à Michaël Chrétien, “vas-y, prends le ballon, tire”. Il obéit, Issiar ne voulait pas, mais il donne quand même le ballon à Michaël, qui tire. Le gardien l’arrête et le match se termine sur ce score 1-1. Gagner à l’extérieur, c’était presque synonyme de qualification.
Ce résultat-là, c’était de ma faute. C’était pour moi. Je n’aurais pas dû intervenir, Michaël n’était pas préparé pour tirer, je n’aurais pas dû m’en mêler. Depuis ça, je nomme, avant les matchs, des tireurs. Et je ne m'immisce plus sur le terrain en plein match.
En 600 matchs, et surtout en 23 ans, comment pense-tu que tu as évolué en tant que coach ?
C’est le jour et la nuit. Dans le management d’abord. Avant, on travaillait beaucoup plus tactiquement et techniquement et on laissait une petite partie au management. Aujourd’hui, ça s’est inversé. Les joueurs de maintenant ont besoin d’être rassurés sur beaucoup de choses. Il y a eu un transfert de tâches dans le sens où j’ai un management avec beaucoup plus de proximité. Je m’intéresse à l’humain derrière le joueur de football, même si j’y ai toujours fait attention. Dans le vestiaire aujourd’hui, c’est Adrian [Sarkisian] qui travaille énormément la partie technique avec les joueurs par exemple.
Équipes affrontées le plus souvent :
- Sochaux : 22 fois
- Saint-Etienne : 20 fois
- Auxerre et Le Mans : 19 fois
- Lorient : 18 fois
- Toulouse : 17 fois
- Lens, Monaco & Nice : 16 fois
- Bordeaux, Lille, Lyon, PSG, Rennes, Valenciennes : 15 fois
Comment est-ce que tu t’adaptes justement, en travaillant avec Adrian, Gennaro, ou même Michaël Chrétien, qui ont été tes joueurs à l’époque ?
Ça se fait tout naturellement. Il faut de l’ouverture d’esprit des deux côtés, de l’intelligence. Du respect aussi et de l’humilité.
J’ai un autre exemple aussi, c’est Olivier Rambo. A l’époque, on était tous les deux joueurs. On était proches, on partageait beaucoup de choses. Et ensuite, je suis devenu son entraîneur. Mais on est toujours restés amis. On l’est toujours aujourd’hui. Olivier, il ne le sait pas forcément, mais il a contribué à mon évolution, comme d’autres.
Mika est le joueur le plus souvent titularisé par Pablo avec 323 titularisations, suivi par Genna, ex-aequo avec Pascal Bérenguer et Benjamin Gavanon : 221 titularisations.
Si tu devais comparer l'entraîneur que tu étais au tout début et l'entraîneur que tu es aujourd'hui, c'est quoi les points de comparaison que tu pourrais trouver ?
La passion est intacte. Et à partir de la passion, on peut faire beaucoup de choses. Je sais aussi que j’ai évolué d’un point de vue émotionnel. Avant, dans des situations négatives, je pouvais avoir des propos que je regrettais. Aujourd’hui, je gère mieux. Je suis en paix avec ça. C’est pour ça que je ne retiens finalement que la passion comme point de comparaison : elle n’a pas diminué. Elle a vécu, et on revient toujours à l’humain finalement.
Quels ont été les joueurs qui t'ont le plus marqué, que ce soit pour leur talent, leur mentalité ou leur évolution ?
En premier, Patrick Moreau. Il était très silencieux, mais très écouté, ça peut paraître étrange, mais certaines personnes sont comme ça et c’est impressionnant. Il n’avait pas besoin de parler 52 fois pour se faire entendre. Je pense souvent à lui parce qu’il passait inaperçu alors qu’il était essentiel dans un vestiaire.
Après, il y a toute cette génération, de 2005 pour la plupart…
Youssouf Hadji aussi, qui est devenu le deuxième meilleur buteur de l’ASNL, ce n’est pas rien. Et aussi pour terminer, Olivier Rambo, comme je le disais, il m’a énormément apporté.
Qu'est-ce qui est pour toi aujourd'hui, de manière générale, la plus grande difficulté dans le métier d'entraîneur ?
C’est l’incertitude. Parfois, ça m’arrive encore de sortir d’un match avec la sensation de me dire que j’aurais dû faire les choses différemment. Et c’est terriblement frustrant. Mais c’est la preuve qu’on ne maîtrise pas tout.
Équipes contre lesquelles il a le plus souvent perdu :
- Lyon : 14 fois
- Lille : 10 fois
- Monaco : 9 fois
- Bordeaux, Marseille, Saint-Etienne : 8 fois
- Auxerre : 7 fois
- Le Mans, Lorient, Nice, PSG, Sochaux : 6 fois
A contrario, quelle est la plus grande satisfaction que tu tires de ton métier ?
Le fait de transmettre des choses à un joueur, qui va les utiliser en match, se dire qu’il a acquis des compétences par la suite. Et à tout âge ! Apprendre quelque chose à un joueur d’une trentaine d’années, c’est une satisfaction énorme par exemple.
Équipes battues le plus souvent :
- Châteauroux et Le Havre : 10 succès
- Sochaux : 9 succès
- Lens : 8 succès
- Caen, Clermont, Nice, Saint-Etienne Troyes et Le Mans : 7 succès
- Auxerre, Dijon, Grenoble, Lorient, Monaco, Valenciennes : 6 succès
Qu'est-ce qui te passionne toujours autant ?
La relation avec la jeunesse, parce qu'en fait plus j’avance dans l’âge, plus j’ai de l’écart avec les joueurs. Et être relié à la jeunesse c’est quelque chose qui m’attire énormément. Je suis curieux de voir, de comprendre comment ils réagissent aujourd’hui. En plus, la plupart des joueurs sont moins âgés que mes enfants maintenant.
Et après, c’est le terrain qui me passionne toujours autant. Au début, je souffrais beaucoup d’être de l'autre côté de la ligne, de ne pas pouvoir pousser à 100% l’équipe. Cette ligne était comme un mur pour moi. Aujourd’hui je suis moins frustré et je reste de mon côté de la ligne.
1er match : le 17 novembre 2002 contre Saint-Etienne à Marcel Picot en Ligue 2 (succès 1-0)
100e match : le 23 janvier 2005 à Montpellier en Ligue 2 (1-1)
200e match : le 10 mars 2007 à Nantes en Ligue 1 (défaite 2-1)
300e match : le 30 mai 2009 à Lille en Ligue 1 (défaite 3-2)
400e match : le 10 février 2014 à Tours en Ligue 2 (victoire 3-1)
500e match : le 13 mai 2016 à Tours en Ligue 2 (succès 5-2)
600e match : le 28 mars 2025 face au Mans à Marcel Picot en National 1 (victoire 2-0)
Quel a été ton plus grand défi ?
Ca a été de relever celui que Monsieur Rousselot m’a donné en novembre 2002. Je n’avais pas de diplôme ni jamais montré mes compétences. Je me suis montré à moi-même que je pouvais relever le défi, ce n’est pas de la vanité, simplement un constat. Le métier d’entraîneur m’attirait avant, je l’observais quand j’étais joueur. Ce qui me plaisait c’était le management, j’avais envie de faire ça. Et au final je me suis prouvé que je pouvais y arriver.
Tu aurais fait quoi si tu n’avais pas eu ta chance ?
Au départ, je devais rentrer en Uruguay après ma carrière de joueur. J’aurais acheté des taxis car à cette époque c’était l’assurance d’avoir un travail et un salaire pour subvenir aux besoins de ma famille. J’ai arrêté très jeune le football en plus, j’avais 32 ans je pense, c’est une deuxième vie qui commence. Je le raconte d’ailleurs dans mon livre ce projet. Finalement, j’ai eu un autre destin.
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